LE BON CHOIX DE CAMILLE - 5

Publié le par Mirélie


A partir de ce jour là, mon comportement au sein de la famille a, paraît-il changé du tout au tout. Ma mère ne cessait de me faire des compliments sur ma gentillesse et ma collaboration dans les diverses tâches ménagères. Il faut dire que j’étais investie d’une immense responsabilité : débarrasser la table en enfournant tout en vrac dans le lave vaisselle, ranger ma chambre en jetant tout en désordre dans mes tiroirs ou mes placards (ma mère ne venait jamais y jeter un œil et tant mieux), faire consciencieusement mes devoirs le soir avant de regarder la télé, disons plutôt, feindre de faire mes devoirs, ce qui est, somme toute, très facile ; il suffit de prendre une mine hyper concentrée, de tenir un livre ou un cahier entre ses mains, de se positionner à un endroit stratégique de la maison, car il est évident que ce travail ne doit pas passer inaperçu, et de faire semblant de réciter à voix basse en prenant une mine inspirée et en levant la tête de temps en temps. Ma daronne, assez souvent, me proposait de me faire réciter, mais je déclinais sa proposition, d’un air suffisant : - T’inquiètes, Man, j’y arrive très bien comme ça. Elle était loin de se douter qu’à ce moment là, c’étaient les refrains préférés de Tokyo hôtel, en allemand, s’il vous plait, que je me récitais…. Depuis ma fréquentation de ce groupe, j’étais d’ailleurs devenue tout à fait accro à l’allemand, presque bilingue, vous voyez ?

Les études, jusqu’à ce jour d’un résultat moyen, devinrent désormais ma bête noire. Mon esprit était entièrement tourné vers ces quinze jours d’aventure que j’allais bientôt vivre.

De temps en temps, je m’enfermais dans ma chambre, sous prétexte évident de travailler, et je passais mon temps à surfer sur le net, avant de pouvoir naviguer réellement sur la grande bleue.

Les équations, les théorèmes, le vocabulaire d’anglais ou les dates d’histoire demeuraient catégoriquement à l’extérieur de ma tête : un écran rigide, imperméable, et infranchissable venait de se former entre eux et moi. Plus rien ne filtrait. En classe, mes professeurs n’arrivaient plus à transpercer ce masque qui m’isolait d’eux. Comme on était déjà début Juin, personne ne s’en inquiéta. On mit cela sur le compte de la fatigue et personne ne remarqua que mes derniers résultats scolaires s’effondraient.

Un soir, alors que je planais encore davantage au milieu de l’onde azurée, flottant moitié dans l’eau moitié dans les airs, Elodie entra sans frapper.

Brusquement et outrageusement sortie de ma rêverie intime, je l’apostrophais : - On t’a pas appris la politesse dans cette maison ! Tu peux pas frapper avant d’entrer !

Elodie, du haut de ses dix ans et demi, me regarda d’un air impressionné et gêné, mais ce fut plus fort qu’elle, il fallait qu’elle me dise ce qu’elle avait à me dire. On n’est pas sœurs pour rien ! – Camille, faut que tu m’expliques comment t’as fait pour arriver à partir sans les parents. Moi, je voudrais bien essayer l’an prochain. Tu veux bien que je vienne avec toi, l’été prochain, pour faire du kayak moi aussi ?

Qui c’est qui m’avait foutu une soeurette aussi tarée ? S’imaginer qu’elle allait pouvoir partir avec moi, ce bébé de même pas onze ans !

- Tu te prends pour qui, Elodie ? Tu t’es regardée un peu dans la glace, t’as vu la taille que t’as et comment t’es fringuée. On dirait Skipper, la petite sœur de Barbie, en vacances qui s’apprête à sortir avec ses petits copains tous mignons, trognons. Jolie petite frange sur le front, jolie queue de cheval bien stylée et joli petit nœud assorti au tee shirt. Joli petit pantacourt de chez Kiabi, avec même une petite fleur brodée sur la poche revolver, et jolies petites sandalettes bleu marin. Jolie petite ceinture blanche assortie au liseré du tee shirt, et cerise sur le gâteau, joli petit sourire de la jolie petite minette. T’as pas encore commencé à te maquiller, soeurette, mais cela ne saurait tarder. Franchement, tu me vois t’amener avec moi ? J’aurais trop la honte.

Ce soir là, je m’en aperçois maintenant, j’ai été particulièrement odieuse avec ma petite sœur. Je ne me rendais pas compte à l’époque, mais casser ainsi sa petite sœur de la part de la grande sœur qui constitue le modèle, l’idéal inaccessible et prometteur, constituait pour elle une espèce de catastrophe qui allait la démoralisait pour un bon moment.

Arrête de culpabiliser Camille. Elodie n’avait qu’à s’occuper de ses affaires. C’est pas son problème, tes vacances à toi. Tes vacances t’appartiennent. T’as eu tout à fait raison de la remettre à sa place, et tant pis pour elle si elle pleure comme un bébé, par la suite.

Elodie me regarda d’un air interloquée, ahurie et profondément blessée. Elle resta un moment figée sur place, parfaitement immobile. Puis, elle s’approcha du miroir de ma chambre et se regarda de la tête au pied, d’un air malheureux et triste. Les larmes coulèrent le long de ses joues, de son cou et de son joli tee-shirt fleuri. Elle sortit précipitamment en claquant la porte et s’en alla se réfugier dans sa chambre. Peu de temps après de gros sanglots traversaient les murs de notre maison. Nos parents étaient absents et personne ne vint consoler Elodie.

Sur le chemin de ma maturité, j’allais faire pas mal de dégâts dont je n’aurais pas conscience. Ma chère petite sœur allait être la première à en faire les frais.

Tiens, quand je te disais qu’elle n’allait pas manquer de pleurer, la soeurette ! Ca, c’est le moyen des faibles pour nous émouvoir. Te laisse pas attendrir. Tu crois qu’il est facile le chemin pour la vie d’adulte. Tu crois qu’on ne nous met pas un tas d’obstacles devant la route ? Fonce, Camille, fonce et ne te retourne pas.

========

Publié dans nouvelles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
<br /> <br /> Elle hésite encore et se cherche. C'est pas facile d'être ado et d'avoir une soeur qui veut toujours vous imiter...<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
R
<br /> <br /> j'ai moi aussi une soeur aînée qui agissait ainsi avec moi et je peux te dire que j'ai pleuré bien des fois<br /> <br /> <br /> bizarrement aujourd'hui on en rit.<br /> <br /> <br /> ce soir il est tard j'arrête là pour le moment je reviendrais pour lire la suite.<br /> <br /> <br /> une interressante histoire<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Et bien, tu vois, je pensais que le comportement de ma Camille était tout à fait caricatural et j'en ai même qui l'ont trouvé terrible.... A ce que je vois, c'est possible dans la vraie vie et<br /> comme on dit "la réalité dépasse souvent la fiction" Ce comportement est possible de la part de la soeur ainée jalouse de la cadette mais il est inconscient, bien sûr.<br /> <br /> <br /> Je suis désolée si je t'ai rappelé de mauvais souvenirs, mais je te conseille de lire la suite et tu verras ?!!!!<br /> <br /> <br /> Bisous Reinette<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Eh bien, elle n'est pas tendre avec sa soeur... J'ai noté une faute (sûrement d'étourderie) : une espèce de catastrophe qui allait la démoralisait... démoraliser, non ? <br /> <br /> <br /> Tant pis, je ne peux pas attendre pour connaître la suite, je file à l'épisode suivant !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> bisous<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Non, elle n'est pas tendre du tout, je te l'accorde, elle est même "infecte".....<br /> <br /> <br /> No problem for my mistake, and thank you for your correction !<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Elle a une conduite suicidaire ou alors elle a un autre blème et pas des moindres.<br /> <br /> <br /> bonne soirée<br /> <br /> <br /> clem<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Les ados peuvent être terribles même avec des membres de leurs familles !!!<br /> <br /> <br /> <br />