LE PIN AU PRINTEMPS

Publié le par Mirélie

 

 

Exorciser le noir qui nous étreint. Faire jaillir toute l’obscurité qui nous envahit pour qu’enfin la lumière surgisse.

 

LE PIN AU PRINTEMPS

 

 

02-Le-Joccou--PICT10098.jpg

 

« Les cerisiers sont blancs,
Les oiseaux sont contents,
Revoilà le printemps, ah !
Je dors mal dans mon lit :
Ma cousine est trop jolie. »
(Gilbert Bécaud)

A l’issue de l’interminable hiver, les giboulées printanières ont fait la grande lessive et plus la moindre particule de poussière ne subsiste dans l’air transparent, allégé et rafraîchi. Tout sent le propre, le net et le renouveau. Le parfum de l’herbe humide se mêle à celui des fleurs de l’amélanchier ou du cytise, tandis que le thym et le romarin hésitent encore à nous livrer la totalité de leurs senteurs qu’ils nous réservent lors de plus grosses chaleurs. La terre sombre semble fumer sous les pas avant de sortir de son long sommeil hivernal. La nature, au grand complet a entamé sa phase de grand réveil. Sous les rayons du soleil resplendissant, les couleurs chantent leur éclat et leur vivacité. Le ciel passe par toutes les variétés de bleu tandis que les derniers nuages attardés et quelque peu fainéants laissent leur forme arrondie, douce, cotonneuse et immaculée rompre la monotonie d’une teinte trop unie. Sous nos yeux, la végétation se décline en une symphonie de verts différents. Quant aux fleurs, elles n’ont de cesse d’exhiber leurs plus vives et chatoyantes parures. Les narcisses et les jonquilles font la nique aux hépatiques et aux coucous, alors que les crocus se risquent à montrer le bout de leurs pétales sur les versants à peine sortis de l’enneigement hivernal.

 

« Le printemps est arrivé, sors de ta maison
Le printemps est arrivé, la belle saison!
L'amour et la joie sont revenus chez toi.
Vive la vie et vive le vent, vive les filles en tablier blanc!
Vive la vie et vive le vent et vive le printemps! »
(Michel Fugain)

 

PICT9432.jpg

Tout, autour de moi verdit, fleurit, foisonne. Cela a commencé par de minuscules pointes herbeuses qui sont venues percer la terre humide, ou bien par l’incroyable courage de ces premières fleurs printanières, les discrets crocus. Ces sortes de petites tulipes font bien les arrogantes, défiant le froid encore présent et s’imaginant que leur seule présence va enfin pouvoir mettre un terme définitif au long hiver. Mais, parfois, elles se retrouvent prises au piège, quand, à nouveau, elles sont ensevelies sous un autre manteau neigeux. Ensuite, j’ai eu, sous les yeux une véritable débauche de verdure arrogante et prétentieuse. L’herbe des prés étale et exhibe, maintenant, son lit resplendissant de verdure éblouissante et soyeuse. Car le vert fluo des champs de luzernes ou de blés, au milieu desquels le rouge du coquelicot ajoute sa note de gaieté audacieuse, est paraît-il source de joie et de renouveau. L’horloge biologique tout comme le tic tac du réveil sont sans appel. Le jour et l’heure de l’arrivée de la saison nouvelle sont déjà proclamés et je ne peux que me résoudre à le constater.

 

« C’est le printemps, les p’tits oiseaux
Qu’est-ce qui déglingue autant les animaux, les hommes
Y’a des totos qui passent, qui traversent les têtes,
La nature fleurie devient verte, pendant que les pigeons roucoulent
Y’en a qui courent après leur tête.
(Musard)

 

PICT9478.jpg

Constater. Accepter. Admettre. Car….

Putain de printemps, que tu me mets en rogne !

Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi de la pseudo gaieté des champs de blés ? Elle me fait bien rire, l’herbe verdoyante chantant sous le vent printanier. Elle se couche comme une femme vaincue et asservie, elle plie sous la brise montante en début d’après midi, elle fait mine de se sentir en forme, mais attends, ma belle, en août, tu feras moins la maligne, quand, desséchée par l’air torride et le vent continu, tu craqueras sous les pas ou casseras dans les mains du moissonneur, ou encore partiras en fumée dans un grand incendie saisonnier !

On oublie toujours tout, et toi, ma belle, l’herbe à la robe éclatante, fière, qui me nargue et me fait des clins d’œil narquois et malicieux, tu sembles ignorer que, toi aussi un jour, tu vas y passer, que toi aussi, un jour ou l’autre, tu vas te coucher sous la grande arme inéluctable et sans appel de la faucheuse.


 « Au printemps au printemps
Et mon coeur et ton coeur sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier Notre Dame du bon temps
Au printemps »
(Jacques Brel)

 

Moi, évidemment, je ne peux plus rien cacher. Mon agonie est tellement évidente. J’ai essayé de faire semblant, de faire comme ci, de tromper mon monde. Mais le jeu de dupe n’a pas pu durer bien longtemps.

D’ailleurs, même si je suis toujours debout, c’est pour combien de temps encore ? Moi, je dirais, honnêtement et sans détour, allez, disons, encore une saison de printemps, une d’été, mais l’hiver prochain, aux premiers froids, mon bois va craqueler, se fendiller, casser, des lambeaux de ma peau, mon écorce, vont se sauver, désertant mon corps si meurtri,  mes branches vont se rompre sous le poids de la neige, et au printemps suivant, il n’y aura plus la moindre sève au sein de mon corps, et plus un seul bourgeon ne viendra décorer mes rameaux.

 

J'aime Paris au mois de mai
Quand les bourgeons renaissent
Qu'une nouvelle jeunesse
S'empare de la vieille cité
Qui se met à rayonner
J'aime Paris au mois de mai
Quand l'hiver le délaisse
Que le soleil caresse
Ses vieux toits à peine éveillés
(Charles Aznavour)

 

Tout cela a commencé, il y a quelques années, quand la première procession de ces maudites chenilles a grimpé le long de mon tronc. Quand je pense qu’il y a des promeneurs assez stupides pour éviter de marcher sur la longue file de ces fichues bestioles. Je les observais, à ce moment là, contenant ma colère, me disant : « Mais, bon sang, pourquoi donc, ne les écrasez-vous pas ? Allez-y, piétinez les de bon cœur ! Allez-y de vos bonnes grosses godasses ! Vous ne voyez donc pas qu’elles se préparent à nous envahir, nous les pins environnants ? » Elles ont commencé par mes voisins, assez lointains, ceux qui se trouvaient à une bonne centaine de mètres de moi, et puis elles ont continué leur progression funeste et insidieuse, lente mais terriblement efficace dans ma direction. Tous les autres pins attaqués sont encore debout, car ils ont eu la bonne idée de pousser tous ensemble, de se regrouper en un épais bosquet et de se serrer les coudes. Alors, les chenilles ont fabriqués un cocon par ci, un cocon par là, chacun a vu ses branches ornées de deux ou trois de ces parasites mais pas plus. Chaque collègue a perdu une ou deux branches mais pas davantage.

Seulement, moi, j’ignore la raison qui a fait que je me suis mis à pousser seul au milieu de l’herbe verdoyante. Allez savoir pourquoi, une pauvre graine sortie d’une pigne égarée est allée se perdre sur un adret isolé, seule, particulièrement vulnérable. ? Peut-être, parce que toutes les autres pignes ont été avalées par les sangliers ou autres prédateurs, voire par le mignon écureuil ? Peut-être parce que la mienne a bénéficié tout à coup d’un courant d’air plus violent qui l’a envoyée promener plus loin que les autres ?

« Quand Paris s'éveille au mois d'avril
Quand le soleil revient d'exil
Quand l'air plus doux berce une jeune romance
Quand le printemps vraiment commence
Alors voici qu'aux portes de Paris
Accourt tout le pays
Par l'amour ébloui
Et du Nord jusqu'au Midi
La France chante et rit
En avril à Paris. »
(Charles Trenet)

 

 Le fait est que, enfant déjà, je me dressais, parfaitement solitaire au milieu des grandes herbes et des fleurs des champs. A ce moment là, j’ai dû mener un rude combat, me dressant, ainsi, seul face au vent, aux intempéries, à la chaleur torride. Seulement, ne manquant ni de volonté ni de courage, je vous jure, que je me suis accroché (pas aux branches évidemment !) disons plutôt au sol, pour ne pas en être violemment arraché). J’ai même réussi à piquer quelques animaux s’approchant un peu trop près de mes jeunes aiguilles. Je me suis battu comme un lion, moi le petit pin enfant.

 

« Y'a le printemps qui te réveille, t'as le bonjour du printemps.
Y'a le printemps qui te réveille, t'as le bonjour du printemps.
Y'a le printemps qui t'ensoleille, oh, le coquin de printemps.
Y'a le printemps qui t'ensoleille, oh, le coquin de printemps. »
(Michel Fugain)



Quand j’ai atteint ma pleine maturité, quand enfin, j’ai pu me dire : « Allez, maintenant, tu es un arbre solide, tu plies sous le vent, mais ne romps pas, tu ne crains ni la sécheresse ni les grosses pluies ; ta solitude te permet d’éviter d’être importuné par un voisin désobligeant, et tu règnes seul en maître sur un immense territoire », voilà que je les ai vues approcher, ces maudites bestioles.

Oh ! Elles ne sont pas bruyantes, elles n’ont pas l’air vraiment menaçantes, elles n’ont l’air de rien, elles avancent si lentement, si gentiment, semble-t-il ?

Il y a six années qu’elles ont commencé à m’attaquer, six années qu’elles ont démarré l’ascension de mon fût. Je n’ai maintenant, plus une seule branche d’épargnée. Seule ma forme globale peut faire allusion à un pin, car pour le feuillage, vous pouvez toujours le chercher, plus une seule aiguille ne subsiste sur mes branches. J’ai changé de couleur. Vous savez, normalement, un pin, ça a un tronc plutôt noir sous la vive lumière de l’astre solaire, et de jolis aiguilles vert foncé qui brillent et étincellent sous l’éclat de ses rayons. Brillent ? Quel lointain souvenir ! Soleil ? Il brûle mes branches et mon tronc maintenant. Pignes ? Plus une seule ne subsiste sur moi. Aiguilles ? Je n’en garde que le souvenir. Survivre ? Comment, puisque aucun fruit ne sort plus de ma sève. Je tend mes multiples membres desséchés, fragiles, cassants et vulnérables comme d’inutiles tentacules inoffensifs sous la brise printanière : derniers vestiges d’un être se voulant encore debout, non gisant. Un arbre ne meurt jamais couché, agonise debout, sec et rigide et ce n’est que longtemps après sa mort qu’il s’écroule, disons plutôt qu’il commence à s’effriter, à se découper en petits morceaux. Un morceau par ci, un morceau par là. Une branche emportée par le vent finira au milieu d’un bûcher dans la cheminée d’une riche villa, une autre finira ses jours rongée par la vermine au milieu de la végétation luxuriante d’une forêt exubérante, une autre encore pourra faire l’objet du travail artistique d’un jeune garçon qui aura eu l’idée d’y façonner un petit esquif.

 

« Le printemps nous a donné le joli lilas.
Le printemps nous a donné du rire en éclats.
Et plein de bonheur pour nous chauffer le coeur.
Vive la vie et vive le vent, vive les filles en tablier blanc!
Vive la vie et vive le vent, et vive le printemps. »
(Michel Fugain)

Quelle destinée pour l’arbre fragilisé par les dizaines de cocons qui l’envahissent ! Quel malheur que d’avoir choisi de vivre isolé !

Mes teintes noires, marrons ternes, et grises jaillissent au milieu des joyeuses teintes printanières.

Ma mort lente hante le paysage luxuriant de vies nouvelles.

Je ne suis plus en phase avec mon environnement. Je me sens totalement décalé, désorienté, perdu.  Je suis une ineptie, un non-sens, une stupidité de la nature, un reste inutile et vain. Je suis l’intrus par excellence.

Tout, autour de moi n’aspire qu’à une chose : me voir disparaître au plus vite d’ici. Je fais tâche au milieu de la liesse ambiante.
Si mes voisins le pouvaient, sans nul doute, ils accélèreraient mon agonie. Je ne peux les en blâmer, je suis d’accord avec eux.

 

cocon-chenilles-proceF3400.jpg

 

chenilles-processionna002_0008.jpg

« Y'a de la joie! Bonjour, bonjour les hirondelles
Y'a de la joie! Dans le ciel par dessus les toits
Y'a de la joie! Et du soleil dans les ruelles
Y'a de la joie! Partout, y'a de la joie! »
(Charles Trenet)

 

Michèle Durand

2 Mai 2010

 

 





Publié dans nouvelles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Y
<br /> <br /> Quelle ôde au printemps tu nous offres là... super, j'aime beaucoup les quelques paroles de chansons dont tu pontues tes textes.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> Yentl<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Une ôde bien spéciale, Yentl, il faut bien le dire...<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Ce que tu as écrit là, avec beaucoup d'ingéniosité est<br /> superbe Mirélie !<br /> <br /> <br /> Quant au Printemps, à Marseille, nous nous posons la<br /> question de savoir où il a bien pu passer, car l'on se croirait encore à l'automne pour ne pas dire en hiver, car étant Marseillaise l'on penserait que je galèje.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> Dominique<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci, merci, Dominique et à bientôt<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
É
<br /> <br /> Bonjour Mirélie. Ca fait plaisir de te lire à nouveau. Ton texte est magnifiquement écrit et je partage ton opinion sur ces chenilles processionnaires qui anéantissent nos pins... Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci pour le "magnifiquement écrit", Brigitte, qui me touche comme une flèche de beaume en plein coeur...<br /> <br /> <br /> J'essaie en tout cas, j'essaie de bien écrire, mais cela n'est pas du tout évident parfois<br /> <br /> <br /> Je t'embrasse et à bientôt<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Un petit coucou en passant... et je n'ai pas pu résister au plaisir de te relire, car c'est un texte qui mérite d'être abordé de diverses manières me semble-t-il. <br /> <br /> <br /> Je te fais de gros bisous,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sandra<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Selon que l'on se sent gai ou triste, on peut ressentir ce texte de bien diverses manières. Merci d'être revenue pour le lire, Sandra.<br /> Je publie beaucoup moins en ce moment car mes textes me prennent plus de temps et aussi parce que je fais pas mal de choses à côté<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> <br /> Le printemps est la belle saison!<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> La saison du renouveau !<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />