POURQUOI SUIS-JE AINSI ?

Publié le par Mirélie


Souvent, je fais comme si, souvent, j’agis comme si de rien n’était. En fait, quand je fais comme si, c’est que je suis en partie inconsciente, que j’ai oublié toutes mes galères passées.

Vous allez me dire : - Mais, justement, tes galères font partie du passé et le passé est révolu.

Mais, croyez vous que l’on peut effacer d’un trait, comme ça, la vie de son enfant ?

J’en ai maintenant la certitude, presque six ans depuis qu’Aurélie nous a quittés, et jamais je ne pourrai faire son deuil. J’essaie, je fais tout pour, et à chaque fois, à la période de Noël, je suis de plus en plus mal, je m’écroule.

Je n’allais pas vous dire tout ça, pendant les fêtes, pendant que vous étiez dans la joie et le bonheur. J’ai souhaité attendre pour vous l’expliquer. Alors que chacun baigne dans les festivités de Noël, dans l’échange, le partage, les agapes, moi, je suis à contretemps, comme une sorte d’extra-terrestre tombé sur terre  par erreur, je me sens marginalisée, déphasée, à côté de la plaque. Peu de gens autour de moi le comprennent.

Cette année, un évènement, les soucis de santé de Maman, évidemment n’a rien arrangé, et j’ai plongé un peu plus bas. Je me suis traînée, malade d’abord, épuisée ensuite. Finalement, hier quand j’ai constaté que la maladie était bien terminée et que je ne remontais toujours pas la pente, que je m’épuisais chaque matin pour me sortir du lit et pour essayer de faire quelque chose de positif de ma journée, j’ai pris une décision, la seule salutaire pour moins : j’ai décidé d’augmenter mon anti-dépresseur.

Les anti-dépresseurs, tant décriés, tant accusés ! J’ai tout fait pour en prendre le moins possible. J’ai fait des années de psychothérapie. Ma psychiatre, à un moment, m’a même dit – Vous savez, le deuil d’un enfant, on ne peut jamais le faire vraiment. Alors, que faire ? Aller parler encore, raconter encore, dire tout ce que j’ai écrit dans mon livre sur Aurélie, dire l’insoutenable, l’insupportable ? A quoi bon ? Pourquoi ? Je vais peut être reprendre mes entretiens, je ne sais pas encore. Mais, je n’y crois plus car, il paraîtrait que ce qui nous bousille pour faire un deuil c’est la culpabilité, et face à la mort de ma fille, je n’ai pas une once de culpabilité, j’ai tout fait, et encore plus même. Par contre, j’ai toujours la colère, la colère de son absence de prise en charge correcte. Et veut-on faire que je taise cette colère ? Mais c’est tout ce qu’il me reste, bon sang, maintenant ! Dire exactement comment les choses se sont passées. Rassurez vous mon anti-dép ne m’empêche nullement de ressentir la colère. Il me permet juste d’arriver à vivre correctement sans me traîner du matin au soir. Je pense qu’il y a des cas de force majeure où l’anti-dép est aussi utile que l’eau que l’on boit chaque jour. Moi, sans anti-dép je suis à ramasser à la petite cuillère. Alors, comme je ne me supporte pas ainsi, je me shoote légèrement, voilà !

Ce texte est juste une petite mise au point pour que vous sachiez à qui vous avez affaire ici. Alors, parfois, si je vous parais un peu dure, vous comprendrez mieux le pourquoi de la chose.

Une autre chose : vous savez ? Les donneurs de leçon, les gens qui vous disent : «  Il faut ou bien il n’y a qu’à », ou bien encore, « Tu devrais faire » : je ne supporte plus, j’en ai mon overdose. Je sais ce que j’ai à faire et je n’ai nullement besoin de conseil. Si je ne fais pas c’est tout simplement que JE NE PEUX PAS.

C’est rigolo comme la plupart des gens qui nous donnent des conseils n’ont même pas une vague idée de ce que c’est que de ne plus pouvoir, d’avoir atteint ses propres limites. Probablement parce qu’eux ne les ont jamais atteint ces limites là. Il faut vraiment être allée jusqu’au bout pour le comprendre.

Il faut être passé par les idées noires (soyons clair, disons idées de suicide) ou bien les débuts de la dépersonnalisation, ou encore les crises d’angoisse panique pour savoir jusqu’où on peut aller dans l’effondrement. Quand on n’est jamais passé par là, comment se douter que cela peut vous arriver ?

C’est justement pour ne plus retomber dans cette spirale infernale des angoisses et de la dépression que je me protège. Certains pensent, sans doute, que je suis un peu égoïste, et que je pense un peu trop à moi. Mais, ont-ils compris qu’en pensant à soi, on pense aussi aux autres ? J’en doute. Car quand on craque complètement, on ennuie drôlement son entourage, bien plus qu’en se protégeant.

Penser à soi, se garder du temps libre, se préserver, s’oublier dans des loisirs ou des activités sportives, écrire ou nager, ou randonner. Ne pas aller voir sa mère à l’hôpital tous les jours. Et non, je n’en suis pas capable. J’ai trop de passé dans les hôpitaux pour les supporter tous les jours. Téléphoner tous les jours, oui. Y aller, non. Heureusement le personnel soignant est relativement humain et compréhensif, et une fois que j’ai un peu raconté mon histoire, ils ont vite compris mon attitude. Par la suite, je les appelle, et je discute facilement avec eux, et tout est clair, le traitement de Maman, etc…

Voilà, la vie a fait de moi une personne fragile, différente, et comme pour se noyer dans la masse, il vaut mieux ne pas être trop différent, je flotte en surface, larguée et marginale. Heureusement que dans ce monde terrible, quelques personnes me comprennent et m’acceptent telle que je suis. Heureusement que j’ai un mari compréhensif aussi.


 

Michèle Durand

4 janvier 2010

Publié dans Persos

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
<br /> Toi seule peut savoir ce qui est bien pour toi et il n'y a aucune honte à consommer des antidépresseurs. Ces médicaments m'ont beaucoup aidée il y a quelques années quand je me suis retrouvée seule<br /> avec ma fille.<br /> Je pense aussi que cela doit être impossible  de faire le deuil de son enfant mais J'ai déjà vu des femmes, des collègues de travail, arriver à donner un sens à leur vie après ce drame<br /> immense. Je ne sais pas comment elles ont fait mais je sais qu'elles avaient d'autres enfants.<br /> Peut-être que tu pourrais rencontrer d'autres parents qui ont vécu la même chose et que de discuter avec eux te ferait du bien, comme une thérapie de groupe ou un échange par le biais d'une<br /> association. Mais peut-être as-tu déjà essayé?<br /> Je t'envois toutes mes pensées les plus amicales. <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> J'ai trouvé un sens à ma vie par le biais de l'écriture, vois tu, Enriqueta. J'ai enfin l'impression de faire quelque chose pour moi, quelque chose qui n'appartient qu'à moi. Un de mes textes vient<br /> d'être choisis pour notre atelier de lecture à haute voix et mis en scène par un professionnel du théatre. J'en suis très flattée. Je n'ai nulle envie de rencontrer des personnes ayant vécu la même<br /> chose que moi, car telle que je me connais, c'est moi  qui vais les aider et qui vais trop prendre sur moi. Si je me fais aider ce sera par un professionnel par un autre parent, qui à tous les<br /> coups, aura moins d'armes que moi.<br /> Je te rejoins ailleurs<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
E
<br /> Je m'aperçois que le texte que j'ai écrit n'est pas arrivé!<br /> Je vais en faire un résumé.  je souffre  de voir combien tu te sens seule.<br /> Je croyais que ta belle-mère qui t'aime infiniment faisait parti des personnes qui<br /> pouvaient te comprendre,car elle aussi souffre de l'absence  d'Aurélie sa petite-fille<br /> chérie. Tu as une famille autour de toi qui t'aime beaucoup méme si elle ne sais pas toujours l'exprimer comme tu le voudrais.<br /> La vie n'est facile pour personne.<br /> Le dialogue n'est pas toujours évident . On se confie parfois plus facilement à des étrangers qu'a sa propre famille<br /> Bien affectueusement<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> merci Eliane et bisous<br /> <br /> <br />
R
<br /> J'ai lu avec attention tes mots et ta souffrance est bien réelle. Juste envie de te dire que je comprends. Tu as tout mon soutien.Je souhaite que ton livre soit édité. Merci d'être toi, d'être<br /> vraie. Je t'embrasse.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Merci beaucoup Roselyne<br /> je t'embrasse moi aussi<br /> <br /> <br />
A
<br />  coucou mirélie<br />  personne n'a le droit de te dire ce que tu dois faire<br />  personne n'est toi et toi seule sait ce que tu ressens<br />  je voudrais jute être ton amie<br /> je voudrais  te dire  que  dès la première fois que je suis venue sur ton blog j'ai senti ce quelque chose qui nous dit ça c'est 'une brave femme"<br /> comment aurais je fait à ta place<br /> mais je ne suis pas à ta place et je me plains alors que tout va pour le mieux<br />   j'ai la chance d'avoir 2 frères et  une petite soeur , trois filles et 7 petits enfants  une maman qui se porte assez bien<br />  un mari avec qui je partage mes journées<br />  et  malgré tout ça je dis que j'en ai marre du temps( il fait trop chaud ,trop froid)<br />   que je suis fatiguée<br />  et puis je te découvre toi la maman qui n'a plus de fille , qui n'aura pas de petits enfants !!!<br />  c'est toi la maman cassée qui viens de m' aider à passer mes petits soucis de santé<br />  tu vois tu es merveilleuse chère mirélie reste comme tu es<br />  soit celle que tu veux c'est ta vie  c'est pas la notre<br />  bisous à toi de la part de la grandmère des côtes d'armor<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Je suis tellement émue par ton commentaire que j'en ai les larmes aux yeux, Amtéalty.<br /> Une seule petite erreur dans ton texte. Heureusement il me reste une fille, et peut être un jour aurais-je des petits enfants ? Une fille qui a souffert de tout cela comme ce n'est pas permis et<br /> qui aujourd'hui se rapproche à nouveau de nous.<br /> Tu dis que je viens te soutenir, je suis toujours ainsi avec tout le monde, ma mère malade, mon mari, mes amis que j'appelle même quand je vais mal.... Je ne me force pas, je suis ainsi... Je ne<br /> mérite pas de compliments car l'on ne se force pas à être naturel. Par contre, le revers est que je suis susceptible, mais j'en connais d'autres ainsi, d'autres qui ont souffert comme moi, et qui<br /> ne supportent aucune réflexion sur leur manière d'agir.<br /> Je m'aperçois, qu'ici, je découvre de nombreuses personnes sensibles et compatissantes<br /> Je t'embrasse Amtéalty et vive cette présentation qui nous a fait nous rencontrer.<br /> <br /> <br />
D
<br /> Ca fait peu en effet la vie est parfois un long calvaire je ne m'étendrais pas sur les miens<br /> tu en as assez comme cela<br /> douce journée Mirélie n'abandonne jamais<br /> bisous<br /> Didier<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Effectivement, Didier, parfois on a l'impression que l'on ne fait que souffrir ici....<br /> Merci de ton soutien Didier et bisous<br /> <br /> <br />